Le repas comme rite symbolique – La table est le lieu du rassemblement où se cristallise le moment du repas ; petite cérémonie du quotidien et des grands événements. La tablée, lieux et moments confondus, voit éclore scènes d’amour et d’amitié, de partage et d’argumentations. Témoin privilégié de nos aventures, chorégraphie du vivre-ensemble et de l’étiquette, le repas est le théâtre de gestes répétitifs expressifs et de manies aussi drôles qu’irritantes. Dynamique, tout en débâcles festives, moments magiques et mémorables, le repas est une source sonore joyeuse, bruyante et rythmée. Tel un palimpseste, la table porte à sa surface les traces usées de ces instants évanouis.

Le cœur de ce projet se situe au moment où le festin fait bourgeonner l’amitié entre quatre femmes artistes et vise à dépeindre le portrait fantasmé de leurs pensées et de leurs destinées. La magie s’opère lorsqu’elles sont réunies et la verve de chacune est dépeinte à travers les thèmes : exploration et délire de matières, de savoir-faire, de gestes, grands rituels et petites manies, ainsi qu’à travers les états de temporalité explorés : paysage-mémoire, fantasmagorie et flash-back.

J’ai mis en place un laboratoire de création, une réflexion ouverte, intuitive et empirique où quatre femmes artistes furent convoquées à un dialogue pensées-matières. L’exploration et les tournages en environnement contrôlé ont eu lieu chez Recto-Verso, à la Bande Vidéo et chez Avatar principalement entre l’été 2017 et l’été 2021, dans le cadre de résidences. Plus d’une quinzaine d’artistes et d’artisans ont participé à la progression du projet depuis ces prémices. Pour chacune des quatre personnes attablées, j’enlumine la réalité de manière à glisser vers une vision fantasmagorique de leur univers. Au fil du temps, j’ai créé quatre portraits, quatre bases de données audiovisuelles distinctes pour forger leurs personnalités. Puisqu’aucun visage ni dialogue n’apparaît, c’est par les mains agissant sur la table, à travers la chorégraphie des gestes et des actions et à travers les matières expérimentées avec chacune, les points de vue de caméra singuliers et une couleur sonore particulière que le spectateur aura accès à leurs paysages intérieurs.

Le titre L’oiseau qui plane et ne cesse d’agrandir son cercle est un morceau de phrase croqué dans : Cinéma 1, l’image-mouvement de Gilles Deleuze, collection critique, page 50. Il représente pour moi l’individualité et tout à la fois la recherche de connexion, le besoin de planer en solo, de s’envoler dans nos paysages intérieurs et celui de voir les choses à travers le regard des autres, d’embrasser plus large jusqu’à ce que nos visions se transforment. Il en va ainsi pendant un repas, une fête où l’on est en quelque sorte seul ensemble. Un moment où les bribes se croisent, s’élèvent et s’entremêlent à différents niveaux pour devenirs autres et faire partie d’un plus grand mouvement. Un espace-temps où nous sommes conscients que nos images mentales sont colorées ou déclenchées par cette présence de l’autre, par la pensée commune ou encore par un simple geste. Le plaisir de voir apparaître les choses que l’on s’imagine ! Ce principe régit la direction artistique du projet en tout point et en regard du choix de travailler en collectif pour une première fois dans ma démarche artistique. Il est également directement en lien avec le travail de l’image et de la mise en espace sonore. En guise d’exemple les différents mouvements de caméra – qui tourne, s’envole, tombe ! en plongée, en contre-plongée en point de fuite ou en traveling – reflètent les 4 personnalités ou révèlent des espaces entre deux mondes, deux saisons, deux objets incongrus, deux regards. Il en va de même pour le son – le proche, le lointain, l’ambiant, le fond, le plutôt musical, le bruit des choses – les explorations et les jeux rythmiques deviennent de délicieux abysses !